La bataille du Chili
L’Insurrection de la bourgeoisie
Les derniers mois qui ont précipité le Chili dans la dictature de Pinochet, ou « l’agonie d’un processus révolutionnaire », selon les mots du réalisateur, Patricio Guzmàn. Une fresque documentaire en trois volets, exhaustive et saisissante, qui contribue aujourd’hui à la sauvegarde d’une mémoire écorchée vive. Depuis 1970, Salvador Allende, élu sous la bannière d’un socialisme révolutionnaire qui a enthousiasmé le peuple ouvrier, préside le Chili. Mais l’opposition de droite, notamment le parti démocrate-chrétien, largement assisté par la CIA qui voit d’un mauvais œil l’instauration d’un nouvel élan marxiste en Amérique du Sud, cherche par tous les moyens à renverser le gouvernement. Par la voix des urnes, d’abord : le renouvellement du Parlement en mars 1973 est l’occasion d’une offensive électorale de la droite, qui se traduit par un semi-échec : la coalition de droite n’a pas engrangé les 60 % nécessaires pour destituer constitutionnellement le président. Qu’importe. Puisque le processus démocratique ne joue pas à leur avantage, l’opposition et Washington entament une campagne de désorganisation du ravitaillement de la population, via la destruction des stocks et le sabotage des semailles paysannes. Les organisations fascistes, de leur côté, sèment le chaos social pour justifier un futur coup d’État. Le mouvement Patrie et Liberté, par exemple, bénéficie du soutien financier des grandes entreprises et du Département d’État à Washington, qui a également infiltré ses agents instructeurs dans les milices pour les former à la terreur. Le basculement de la classe moyenne dans l’opposition fascisante, via une grève des transporteurs qui bénéficie du soutien des étudiants catholiques et du parti démocrate-chrétien, enfonce le dernier clou dans le cercueil de la démocratie. Le 29 juin, une tentative de putsch est lancée par des officiers contre le palais présidentiel de la Moneda. Le travail d’une vie Tourné avec des pellicules fournies en France par Chris Marker, La bataille du Chili est un monument du documentaire, qui capte dans une saisissante fresque cousine du cinéma direct les derniers mois qui ont précipité un pays violemment divisé dans la dictature, ou, comme son réalisateur le qualifiera dans le quotidien Le monde, « l’agonie d’une expérience révolutionnaire ». Alors tout jeune documentariste, Patricio Guzmán (Mon pays imaginaire, La cordillère des songes), qui a entrepris de filmer l’exercice du pouvoir socialiste dès 1970, ne sait pas encore qu’a débuté pour lui le travail d’une vie : la sauvegarde et la transmission d’une mémoire écorchée vive, traumatisée par la dictature de Pinochet. À l’époque, les caméras du cinéaste sont partout, des usines en débrayage où il immortalise les réunions d’ouvriers tentant de faire advenir une autogestion populaire en passant par l’effervescence insurrectionnelle de l’été 1973 dans les rues de Santiago, jusqu’au palais présidentiel en flammes que filme son monteur depuis le toit voisin des bureaux de la production, le jour du coup d’État. Guzmán et son équipe paieront eux aussi un lourd tribut à la dictature : après avoir été arrêté et emprisonné, le réalisateur s’exilera à Paris, où il réside toujours. Le dernier épisode de la trilogie, consacré à l’idéal d’un « pouvoir populaire » qui fut près de se concrétiser avant d’être écrasé par la répression, est dédié à son opérateur image, Jorge Müller Silva, arrêté par la police militaire de Pinochet en 1974 pour – à l’instar de milliers de Chiliens – ne jamais reparaître.
Documentaire de Patricio Guzman (France, 1975, 1h37mn)
La bataille du Chili
Le pouvoir populaire
Dans les mois qui précèdent le coup d’Etat militaire au Chili, les partisans du président socialiste Allende tentent de créer un « État dans l’État » par des actions politiques et caritatives – pour contrebalancer les forces anti-réformes du pays, soutenues entre autres par le gouvernement Nixon aux États-Unis. Suite à la grève séditieuse entamée par les transporteurs, les patrons, ingénieurs et cadres supérieurs abandonnent des usines que les ouvriers décident de continuer à faire tourner seuls. Des « comités de vigilance » s’organisent pour surveiller les bâtiments chaque nuit et chaque week-end. En parallèle, la création de « cordons industriels », un système d’échanges local de ressources, permet de contrer la grève des camionneurs qui met à mal l’approvisionnement de la population. Des initiatives qui préfigurent l’amorce d’un véritable pouvoir populaire. Au début de l’été 1973, 31 « cordons » maillent le pays, dont huit dans la seule capitale, Santiago. Des « commandos communaux », réunissant étudiants, ménagères, ouvriers et paysans, se constituent sur la base d’actions concrètes, notamment les occupations d’usines. Dans chaque quartier, des magasins populaires réunissent les biens de consommation, sous la houlette de collectifs d’habitants. Les aliments sont fournis par la seule entreprise de distribution nationale contrôlée par le gouvernement, qui réussit à subvenir aux besoins les plus urgents de la population.
La bataille du Chili
Le coup d’État militaire
En 1973, le conflit entre les différents camps politiques au Chili s’intensifie. Le gouvernement américain soutient la résistance contre le président socialiste Allende. Un coup d’État militaire est finalement organisé, suivront alors 17 ans de règne de la terreur sous le régime de Pinochet. Puisqu’elle ne peut destituer Allende, l’opposition, noyautée par l’administration Nixon, change de stratégie et bascule vers le coup d’État. La première tentative de putsch du 29 juin 1973, organisée par les dirigeants du groupe paramilitaire fasciste Patrie et Liberté, échoue, mais une partie de l’armée a commencé à montrer son vrai visage. Parmi les officiers, un certain Augusto Pinochet s’affiche, toujours, lui, du côté des forces loyalistes. Face à la menace, le peuple de gauche comprend qu’il ne peut rien en cas de renversement du président : la guerre civile menace, mais les armes manquent. Redoutant l’éventualité d’un accord entre le parti démocrate-chrétien (pressé par l’Église qui appelle à la paix) et le parti socialiste, l’extrême droite fait assassiner le 27 juillet le capitaine Arturo Araya Peeters, aide de camp naval de Salvador Allende. C’est un point de bascule. La majorité des officiers semble se disposer à intervenir pour éviter de voir Allende débordé par le processus révolutionnaire…
Victor Jara, guitariste et chanteur engagé qui soutenait le régime d’Allende fut assassiné par l’armée Chilienne dans les jours qui succédèrent au coup d’état, ils lui coupèrent les mains en signe de détestation, contribuant de ce fait à en faire le symbole de la révolution chilienne à travers le monde et de l’ignominie du fascisme néo libéral.